Une étude intitulée « Ena Zeda, le harcèlement sexuel en Tunisie. Entre tabou et libération de la parole des femmes », publiée en décembre 2021, a été présentée avant-hier par la sociologue Dorra Mahfoudh dans le cadre du festival Echos Féministes. Un évènement organisé par l’Association Aswat Nissa.
L’ouverture de la première édition du festival Echos Féministes, organisé par l’Association Aswat Nissa, a eu lieu dimanche après-midi à la Cité de la culture dans une salle dominée par un public jeune et féminin. Pendant trois jours, jusqu’à aujourd’hui mardi, des débats, des masters class, des pièces de théâtre, de la danse et du cinéma aborderont au cours de ce festival, dont la marraine est la dramaturge et actrice Jalila Baccar, des thématiques de la violence, du harcèlement sexuel et des discriminations à l’égard des femmes.
Créé en 2011, Aswat Nissa s’inscrit dans une mouvance de féminisme indépendant dans le sillage d’ONG comme l’Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd) ou l’Association tunisienne pour la recherche sur le développement (Afturd). Née dans un contexte de transition numérique, l’association a su adapter les nouveaux outils de communication et en particulier aux réseaux sociaux pour rendre encore plus visible la parole des femmes victimes de violences sexuelles. D’où l’encadrement d’Aswat Nissa de la campagne Ena Zeda, le Me Too tunisien, depuis son déclenchement en octobre 2019.
Des conséquences catastrophiques
La mobilisation en question se déploie à la suite d’un fait divers qui horripile la toile tunisienne : les images captées d’un député, nouvellement élu à l’issue de la campagne législative de 2019, le pantalon baissé, en flagrant délit d’une position compromettante, devant un lycée dans sa voiture. L’Association Aswat Nissa, ayant suivi l’affaire de la jeune fille otage de la malsaine convoitise du député, décide de lancer un groupe Facebook baptisé EnaZeda afin de soutenir la lycéenne, mais aussi toutes les victimes en offrant à celles qui veulent porter plainte une orientation juridique. Très vite, une communauté de 41 000 membres se forme autour de la campagne. Les témoignages, plus de 1000, sont bouleversants.
En confiant les récits de femmes à deux sociologues, Dorra Mahfoudh et Amel Mahfoudh, toutes deux spécialisées dans le genre, l’ONG a voulu scruter et analyser un corpus de traumas en vue de savoir plus sur un phénomène resté caché pendant des décennies. D’où l’étude intitulée : « Ena Zeda, le harcèlement sexuel en Tunisie. Entre tabou et libération de la parole des femmes », publiée en décembre 2021 et présentée avant-hier par Dorra Mahfoudh dans le cadre du festival.
L’étude du contenu révèle l’ampleur des violences. Le harcèlement sexuel vient en premier lieu : 34, 5%. Il est suivi par les violences incestueuses, 19, 3%, le viol, 19, 3% et les relations non consenties dans le couple, 12, 6 %. Les auteurs des violences sont généralement des personnes familières, du réseau des relations, des amis ou des collègues, très souvent des voisins (27%). Les lieux du drame sont la maison privée (34%), l’école, le lycée ou l’université (26,4%), le quartier et la rue (21%) et le lieu de travail (18%).
Selon les résultats tirés par Dorra Mahfoudh et Amel Mahfoudh, les conséquences des violences sexuelles sur les femmes sont catastrophiques puisque 70 % d’entre elles souffrent toujours de séquelles psychologiques. 7, 5 % ont déclaré s’être repliées sur elles-mêmes. Selon l’étude, les relations entre les couples sont également affectées lorsque la conjointe a été victime au cours de sa vie conjugale ou avant de relations sexuelles non consenties.
Beaucoup reste à faire
La dernière partie de l’étude traite de l’impact du mouvement Ena Zeda sur les internautes et en particulier les victimes. Un questionnaire a d’ailleurs été publié en juillet 2021 sur le groupe Ena Zeda et sur la page Facebook d’Aswat Nissa. Au total 104 personnes ont répondu au questionnaire.
Les attentes suscitées par le groupe Ena Zeda vont de l’écoute attentive des rescapées des violences, à l’estimation à sa juste valeur du préjudice subi, la reconnaissance de la responsabilité du harceleur, l’alerte des pouvoirs publics et la mise en place d’une aide psychologique destinée aux victimes.
L’enquête en ligne a, d’autre part, constaté que la campagne a contribué à une prise de conscience générale de la violence de genre et du harcèlement sexuel selon 50, 5% des répondantes. Le mouvement a également poussé les femmes à oser s’exprimer et se défendre (14, 8%). Toujours selon l’enquête en ligne, 4% des personnes interrogées estiment que le regard des hommes sur le harcèlement n’a point changé à la suite de ce mouvement.
« Beaucoup reste à faire et la dynamique sociale enclenchée mérite d’être renforcée », conclut Dorra Mahfoudh.